Réalités du pastoralisme

 

L'environnement et le pastoralisme

L'évolution de l'environnement Alpin est directement imputable à la crise ovine qui a engendré la fermeture de l'espace et une baisse de l'attrait touristique.

Un Attrait touristique en régression

Cette baisse de la richesse flori-faunistique qui est l'attrait touristique majeur des montagnes nuit alors à l'image d'une nature préservée. La fréquentation touristique n'est cependant pas remise en cause, elle croît même régulièrement. Et pour palier au débroussaillage ovin des sentiers de randonnée, le parc a recours au débroussaillage mécanique effectué par des équipes de saisonniers. L'entretien des sentiers est donc assuré. Des sentiers d'accès aux estives ont même étaient réhabilités pour permettre aux bergers des déplacements plus aisés.

La fermeture de l'espace

Il faut se rappeler que l'élevage ovin est l'une des activités agricoles la moins bien rémunérée, puisqu'en moyenne, un éleveur ovin perçoit 42 % du revenu moyen agricole français. C'est une activité en pleine crise qui voit le nombre d'éleveurs chuter. La surface fourragère disponible est alors excédentaire et le peu de moutons ne suffit plus à garantir le maintien de l'ouverture du milieu qui se referme inexorablement. L'arrêt du pâturage a pour conséquence immédiate de favoriser les phénomènes d'avalanches car l'herbe haute se couche et crée un tapis orienté dans le sens de la déclivité.
La fermeture du milieu, principal indicateur de la déprise agricole, se traduit ensuite par l'expansion des friches et surfaces forestières jusqu'aux abords des villages. Les ovins n'assurant plus le débroussaillage, le risque incendie s'accroît. L'apparition d'une végétation arbustive ombrageante a aussi pour conséquence l'appauvrissement biologique du milieu. On parle alors d'une baisse de la biodiversité par manque d'énergie lumineuse. 

L'aspect économique du pastoralisme

L'approche de la dimension économique de l'élevage ovin passe par l'indispensable représentation des causes et conséquences de la crise que subit ce secteur.

La crise ovine

L'élevage ovin subit une crise économique dont les causes multiples placent les professionnels dans une position très difficile. La baisse du prix de carcasse en francs constants n'est pas compensée par les primes (PCO, PMR, et ICHN) de soutien aux éleveurs qui représentent déjà plus de 50 % de leur revenu. Ils sont ainsi contraints d'accroître la taille de leur troupeau pour stabiliser leur revenu. Ils ne peuvent alors plus faire face au travail croissant et doivent simplifier leur conduite d'élevage en se basant sur la rusticité de leur troupeau capable d'endurer des conditions difficiles. Si l'éleveur était pluriactif, il doit alors faire le choix d'abandonner son activité pastorale ou de s'y consacrer à plein temps. La crise ne modifie alors pas seulement la conduite d'élevage mais aussi le mode de vie.
La crise explique donc la baisse du nombre d'éleveurs (depuis 1993, le nombre d'éleveurs ovins a régressé de 15 000 en France) ; les éleveurs arrivant à la retraite ne trouvent pas de successeurs. Cette baisse ne traduit cependant pas à elle seule les difficultés économiques qu'éprouve la profession. Les élevages étaient, il n'y a pas encore si longtemps, une ressource traditionnelle d'appoint pour le ménage. Ils ne représentaient qu'une faible ressource économique et leur abandon correspond plus à une baisse du poids des traditions.
Il faut alors prendre en compte l'évolution des revenus. Un indicateur semble alors tout indiqué, il s'agit de la marge brute totale de l'exploitation que l'on obtient en multipliant la marge brute moyenne par brebis par la taille moyenne des troupeaux. Ces deux derniers critères dépendent du degré d'extensification des élevages et évoluent de manière opposée. La marge brute par brebis régresse car la productivité par brebis diminue, et la taille des troupeaux augmente. Depuis l'arrivée du loup, la prédation réduit le nombre de bêtes vendues et ainsi la marge et à fortiori le revenu pourrait-on penser ? 

Une question importante est alors posée : dans quelle mesure le loup est-il responsable de la baisse de revenu des éleveurs et de ses conséquences ?

Le retour du loup : un hôte qui mobilise beaucoup de moyens

La prédation sur le cheptel ovin a atteint un seuil, d'une part car le loup est un animal territorial, son espace étant délimité (200 Km²) par les frontières qu'il s'est fixées, et d'autre part car les mesures de soutien de l'élevage sont devenues efficaces. Les professionnels ont dû réapprendre à vivre avec le loup. Cet apprentissage qui a duré environ cinq ans a permis la mise en place de nombreux moyens de protection et de prévention qui associés sont plus efficaces. Si ces divers moyens n'ont pas rempli leur contrat, la machine d'indemnisation se met alors en place...


Les préjudices économiques causés aux troupeaux


Lors d'une attaque de troupeau, le préjudice premier est la mort d'un certain nombre de bêtes. M Cavallo, lors des deux premières attaques de l'année 2000 (sur les six qui se sont produites) qui se sont déroulées au mois de Février et Mai, s'est vu engloutir 40 brebis et agneaux. Mais là, ne réside pas le premier problème. Il faut aussi tenir compte du stress causé au troupeau, certains éleveurs attribuant aussi au loup l'apparition d'avortements sur des brebis gestantes. Ces avortements sont directement préjudiciables car les brebis élevées sont saisonnées, M.LAUGIER (éleveurs à Saint-MArtin-Vésubie) ayant eu à des recours à des croisements d'améliorations avec des Suffolk a l'éleveur devra donc attendre une année supplémentaire pour obtenir les fruits de son travail. 
Le recours aux moyens de protection engendre aussi des coûts supplémentaires telle la nourriture des chiens de protection. 


L'éleveur : un acteur social
Le pastoralisme : un exemple de multifonctionnalité.

Ce concept très en vogue actuellement repose sur trois préoccupations majeures :
- un lien profond entre agriculture, environnement et développement rural durable,
- la satisfaction de l'agriculture aux principes de sécurité alimentaire,
- l'existence de relation entre l'agriculture et le commerce international.

La volonté française de défendre ses particularités régionales a pour objectif de défendre les intérêts de l'agriculture française lors des prochaines négociations internationales. La France espère par ce biais légitimer le principe de préférence communautaire. 
Dans ce sens, la France se base sur la politique agricole qui a été misee en place depuis plusieurs décennies dans les zones dites défavorisées qui correspondent le plus souvent aux zones de montagne. Le pastoralisme entre alors dans les critères cités plus haut, il permet le maintien d'une activité économique et sociale, tout en respectant l'environnement. 


Qualifiée d'extensive, la conduite d'élevage repose sur un foncier bon marché et une main d'œuvre minimale. Elle débute en Avril lors de la transhumance, les troupeaux montent alors sur les estives situées en altitude. Ils y resteront officiellement 120 jours. Dans les faits, ce sont les premières chutes de neige qui déterminent la descente des troupeaux dans la vallée. Dès lors on se demande s'il n'y a pas surpâturage des baux ruraux mis en location. Mais le nombre d'ovins est faible, les ressources alimentaires sont alors en excès.
Un autre fait déterminant est la pluriactivité des éleveurs ovins, qui avant le retour du loup pouvaient se contenter de ne surveiller qu'épisodiquement leur troupeau en été. Ils avaient alors parfois une activité professionnelle supplémentaire garante d'un revenu suffisant. Ils restauraient alors des maisons traditionnelles, ou encore marquaient les arbres pour l'ONF (Office National des Forêts). Le retour du loup a modifié la conduite d'élevage ; l'éleveur doit à présent assurer la surveillance quasi permanente de son cheptel. Le loup n'engendre pas seulement des modifications de la gestion des troupeaux, il modifie également le mode de vie des éleveurs.

Le pastoralisme à la Française 
(Cette expression est issue du rapport de M. HONDE)

Cette question essentielle permet de comprendre les problèmes posés par le retour du loup dans une région qui a ses spécificités. Elle découle de la lecture du rapport Honde selon lequel : " le retour du loup est incompatible avec le maintien du pastoralisme à la française ". Pour identifier le pastoralisme français, il est peut-être plus judicieux de le confronter au pastoralisme italien qui cohabite depuis toujours avec le loup.

Les spécificités du pastoralisme français :

LE PASTORALISME FRANÇAIS LE PASTORALISME ITALIEN
On doit réapprendre à vivre avec le loup Le loup a toujours été présent
Une production de viande Une production laitière
Une conduite d'élevage extensive Une gestion des troupeaux plus fine
Le petit chaperon rouge Remus et Romulus

L'élevage d'ovins viande est très différent de la production laitière, les moutons ne sont pas rentrés à l'heure de la traite. Ils passent la nuit dehors lorsque le loup atteint le maximum de son activité.
Le loup avait disparu de nos mémoires et voilà qu'il réapparaît, les éleveurs ne savaient plus vivre avec ce prédateur. Ils ont donc dû réapprendre à vivre avec lui pour adapter leurs moyens de protection et établir une prévention efficace.

Historique du pastoralisme 

Au XVIIIème siècle, l'activité agricole était une activité de subsistance, on parlait alors d'agriculture vivrière. Chacun possédait son petit lopin de terre où poussaient les légumes nécessaires à l'alimentation de la famille, ces cultures permettaient parfois une vente des surplus au sein des marchés locaux. Les animaux étaient rares et ils avaient surtout une fonction de traction des outils agricoles et d'apport d'éléments fertilisants sur les terres cultivées.
Au début du XIXème siècle, l'élevage se développe, l'animal devient alors une source de revenu pour la famille qui représente alors l'unité de base de la société. L'élevage de races bovines rustiques se spécialise, c'est l'émergence de produits destinés à la vente ; tels les produits fromagers. Historiquement, le pastoralisme était donc surtout bovin (les bâtiments d'alpage étaient d'ailleurs appelés vacherie).
Depuis les trente glorieuses et la spécialisation des bassins de production agricole, cet élevage bovin des races rustiques de montagne s'est vu concurrencé par des régions plus productives comme la Normandie au fur et à mesure que l'acheminement des denrées alimentaires était possible jusque dans les endroits les plus reculés.
L'élevage a alors régressé entraînant dans sa chute toute l'activité qui en découlait. Dans des soucis d'aménagement du territoire, des mesures ont alors été prises pour re dynamiser l'élevage dans ces zones dites défavorisées. Le choix a alors été de soutenir la production ovine par l'octroi de primes ovines destinées à compenser la baisse des prix du kilo de carcasse. 

Une agriculture sous perfusion

La crise ovine ne modifie pas seulement la conduite d'élevage des troupeaux, elle modifie les rapports que l'agriculture entretenait avec les autres acteurs du monde rural. L'augmentation des primes dans la part du revenu agricole a rendu dépendant le métier d'éleveurs. Cette agriculture sous perfusion a besoin de légitimer les fonds publics qu'elle utilise auprès de la société. La croissance des aides dans la part du revenu des éleveurs entraîne un changement des regards de chaque citoyen qui voit un peu de ses impôts dans les primes que reçoivent les éleveurs. Tout un chacun émet alors des jugements sur l'activité des éleveurs. Dans ce sens, la réalisation de fonctions qui répondent directement aux attentes de la société apparaît comme un recours aux éleveurs qui tentent de légitimer les aides qu'ils perçoivent.

Le milieu montagnard, un milieu rude

Si l'environnement montagnard est fragile, le milieu montagnard, lui, est rude. Les rigueurs du climat y ont forgé des caractères indépendants qui affectionnent l'isolement et les activités dites traditionnelles (chasse, pêche).  Parce qu'ils affectionnent l'isolement à cause de la médiatisation importante, et parfois outrageante dont fait objet le loup, les éleveurs évitent parfois le contact des touristes qui viennent consommer le "produit montagne".

Désagrégation du tissu rural

La réduction du nombre d'élevages et l'orientation de la montagne dans l'activité touristique déplaisent à certains éleveurs qui se plaignent de ne pas avoir de représentants forts et suffisamment de moyens pour exercer correctement ce métier qu'ils estiment difficile. Il faut cependant souligner qu'avant l'arrivée du loup en France, les éleveurs étaient oubliés et chacun exerçait son métier tant bien que mal. Les cabanes d'alpage était abandonnées, le sentier d'accès aux estives condamné. Le tissu rural set désagrégée, la filière ovine a disparue. Le loup n'a donc pas eu que des effets négatifs sur le pastoralisme français.

Berger, un métier en pleine évolution

Les primes ont pour une très large part contribué à l'extensification de la filière ovine et leurs effets perverses ne se sont pas fait attendre. Les primes étant octroyées par tête de bétail, la taille des élevages s'est accrue. Dans le même temps, les coûts de main d'œuvre (charges proportionnelles) n'ont pas cessé leur ascension. L'augmentation du nombre de brebis par UTH (Unité Travail Horaire) a donc eu pour principal conséquence une extensification de la conduite d'élevage. Certains ne parlent même plus de conduite mais d'abandon du troupeau dans la montagne. 
Selon M CAVALLO (vice président du syndicat ovin), l'extensification a atteint ses limites et la taille parfois considérable des troupeaux (jusqu'à 1 600 brebis) ne devraient plus s'accroître. Le discours du ministre de l'agriculture va d'ailleurs dans ce sens, il projette une segmentation des marchés. Les professionnels n'ont cependant pas attendu le discours de leur ministre pour mettre en place un groupement appelé l'agneau du pays niçois. Le Parc National du Mercantour avait déjà essayé de segmenter le marché en promouvant un agneau du Mercantour. Mais les éleveurs, opposés à l'idée de faire la promotion du parc, ont refusé et ont préféré conserver leur indépendance. 
La moyenne d'âge des éleveurs ovins est étonnamment faible puisqu'elle est de 45 ans  Elle explique toute fois comment 310 (dont 250 ont plus de 100 brebis) éleveurs arrivent à se faire entendre. Les éleveurs des Alpes Maritimes veulent vivre de leur métier et ils veulent le faire savoir.


Un manque de transparence

La trentaine de loups français mobilise de nombreux moyens qu'ils soient financiers, ou encore humains. Cette importante mobilisation d'énergie a pour vocation principale de dépassionner les débats autour du loup pour que le scientifique prenne le pas sur le traditionnel, pour que le rationnel prenne le pas sur l'imaginaire. Mais il est très difficile voire impossible de modifier les croyances des gens. Tout au moins, peut-on les faire évoluer. 
L'exemple du soi-disant complot de la réintroduction du loup est très révélateur de ce monde rural assez enclavé. "Tout le monde se connaît et se respecte", ce n'est pas pour autant que les rumeurs ne circulent pas. Dans les années 1980, la rumeur courait que le PNM avait lâché des vipères pour alimenter les gypaètes barbus qui sont encore aujourd'hui en cours de colonisation de l'arc alpin. Les gens ont aussi fait courir le bruit que ces gypaètes allaient attaquer le bétail. Il suffit de se pencher quelque peu sur le sujet et d'aller visiter la maison du PNM pour apprendre que le gypaètes barbus sont des charognards. Tous ces exemples pour dire que les gens ont l'information à portée de main, il suffit juste qu'ils expriment le désir de s'informer. 

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